Valerio Tricoli - Clonic Earth

Si à partir de sa collaboration avec Thomas Ankersmit en 2011, le nombre de publications de Valerio Tricoli a considérablement augmenté, il n'est tout de même pas de ceux qui sortent des disques trois fois par an (hormis cette année peut-être...). Mais, après deux publications sur Pan (en solo et avec Ankersmit), ce musicien a fini par se faire largement remarquer et est considéré comme une des grandes figures de la musique électroacoustique italienne, et européenne. Clonic Earth, son nouveau solo, ne passera certainement pas inaperçu maintenant.

Et tant mieux, car franchement, Valerio Tricoli fait partie de ces artistes que l'on doit avoir écouté. Il n'est pas question d'aimer ou non, mais je pense que ça vaut le coup de s'arrêter sur son travail, de prendre le temps de s'y plonger au moins une fois dans sa vie, car il fait partie de ceux qui renouvellent la musique électroacoustique. Et je pense spécialement à ceux qui pourraient imaginer la musique électroacoustique comme un montage hystérique de bruits de train entrecoupés de ressacs avec des interludes de bandes accélérés.

Clonic Earth n'a rien à voir avec tout ça. Même si Tricoli utilise des bandes à l'occasion, qu'il les triture aussi parfois, il ne se fait pas le porte parole du monde sonore. Il est uniquement le porte parole de sa propre imagination, le porte parole de son monde sonore. La parole a toute son importance dans ce disque d'ailleurs. Le monde de Tricoli est un monde où la parole est omniprésente. De nombreuses voix parcourent chaque pièce pour raconter ce monde, pas tellement avec des mots, mais seulement avec des intentions, des intonations. Les voix de Clonic Earth sont des voix ralenties, des spectres de voix, des discours fantomatiques qui hantent cet univers ténébreux et chaotique. La parole donne l'impression de raconter quelque chose, d'être narrative, comme la forme de ces pièces, mais elle est surtout utilisée pour son aspect psychologique, pour donner du caractère à chaque pièce et la faire avancer vers un territoire psychologique nouveau, plus que pour prononcer une narration logique.

La psychologie a aussi son importance ici. Si la qualification de psychoacoustique n'était pas tant connotée, on l'accolerait facilement à Clonic Earth. Tricoli ne joue pas sur des volumes forts, ni sur des fréquences extrêmes, il ne s'agit pas de faire mal, non, mais de faire peur, d'immerger. Les sons de synthèses, les progressions lentes et les voix transformées nous invitent à une plongée dans un univers sombre, infernal et chaotique. Il y a quelque chose de sombre, mais pas non plus de cauchemardesque. Parce que Tricoli sait apporter la lumière nécessaire au bon moment. Il nous plonge dans un univers effrayant mais sait rassurer quand il faut pour ne pas plonger l'auditeur dans l'angoisse. Ce n'est plus vraiment un plongeon dans les flammes de l'enfer, mais plutôt un survol, ou une traversée, guidée avec bienfaisance et virtuosité.

Quant au travail sur le son lui-même, Tricoli fait juste preuve d'une originalité rare. Les textures, les grains et les structures utilisées ne renvoient à rien d'autre qu'à l'imagination de Tricoli. On est loin des cuts survoltés, des fréquences stridentes et des filtrages classiques. Tricoli construit un univers sonore unique fait de synthèses étranges et décalées, de voix fantomatiques, le tout dans une structure qui ne laisse rien présager. Il construit un univers qui paraît limpide mais qui cache toujours quelque chose. Il utilise des sons simples mais aux connotations complexes, ce qui permet de construire un univers clair et riche. Un univers étonnant, puissant, et riche.


VALERIO TRICOLI - Clonic Earth (2LP, Pan, 2016) : http://p-a-n.org/release/pan-71-valerio-tricoli-clonic-earth/